Une fillette qui, pour vous, jalonne d’hibiscus un chemin de gravier, ou qui vous concocte un parfum qu’elle nomme “Cliquetis joie”, ma fille en l’occurrence, un garçonnet qui sait à peine parler et s’écrie “Regarde ! C’est beau”, à la vue de la pleine lune, (le mien aussi du reste), la douceur avec laquelle une mère rince votre dos d’enfant dans le bain, le sourire si bon de ce père, toujours prêt à vous aider, un rire en cascade, le regard d’un amoureux, les aventures de deux meilleures amies… Et des centaines d’autres beaux souvenirs, certains très ténus, traces de moments fugaces… Voilà un nectar à ne jamais dédaigner !
Parce que cela nous fait du bien. La simple évocation de ces belles choses fait couler en nous une eau fraîche et délectable, une eau au goût de fleurs, qui a le pouvoir de faire sourire, rire, pleurer de joie, voyager dans le temps, un breuvage de l’âme, qui fait éclater tous les les carcans : chagrin, lassitude, apathie…
Présent, passé, futur
Sont-ils si différents ?
Paulinho da viola, musicien brésilien, affirme : “Ce n’est pas moi qui vis dans le passé, c’est le passé qui vit en moi”… Peut-être pour répondre à l’injonction très en vogue de vivre dans le présent. Une prescription qui sonne parfois comme une mise en demeure !
En effet, peut-on réellement n’être que dans le présent ? Et d’ailleurs, qu’est ce fameux présent : l’année en cours, la semaine, la minute, la seconde, la fraction de seconde… On s’y perd. Sitôt conscientisé, un instant fait partie du passé, déjà ! Le présent est par essence indéfinissable, car en réalité, il se confond avec l’éternité, une notion très palpable dans des expériences de méditation.
Le présent est certes d’une valeur inestimable, mais de quoi est-il fait ? Parfois de la concentration extrême sur un objet, objet d’observation, objet sur lequel on travaille… Parfois d’un état de rêverie, d’abandon à soi, d’autres fois encore d’un partage, voire d’une communion avec les autres. Ces diverses facettes du présent, nécessaires à notre équilibre, sont toutes teintées de nos expériences et de nos aspirations, si bien que le passé et le futur font partie intégrante du présent !
Finalement, si vivre dans le présent reste la chose la plus essentielle, il serait simpliste d’en ignorer la riche texture “multitemporelle”… Ou devrions-nous dire intemporelle ? C’est sans doute ici que se niche la vérité.
Illusion et vérité, Maya et Sat
Les sages Yogi ont depuis longtemps saisi ce paradoxe, qui s’explique par le contraste entre l’absolu d’une part, et notre propre incarnation d’autre part.
Sitôt incarné, l’homme, avec son corps bien défini, perd le lien avec l’infinitude de l’univers, et avec lui une certaine dose de discernement. Le temps et l’espace apparaissent : la Maya entre en scène, et vient obscurcir la conscience.
Sat, c’est au contraire la vérité, la connaissance profonde de ce qui est, une connaissance de l’intérieur, non un savoir acquis. Cette recherche est fondamentale dans le Yoga. Il parait donc essentiel de saisir cette notion. Elle devrait être présente, en fond de toile de notre mental, mais notre vie d’humain se fait avec toutes les dimensions du temps, telles que nous les percevons.
Il est d’ailleurs à noter que plusieurs techniques de Yoga Nidra s’appuient sur les souvenirs et sur les rêves… De vraies sources d’enseignement !
Bons et mauvais souvenirs
Pour en revenir à l’évocation des bons souvenirs, certains vous diront qu’ils n’en ont pas… Ou peu. Ces mêmes personnes ressasseront inlassablement des expériences mal digérées, resteront sur des positions fermées. On a envie de leur dire “Hé, tourne la tête de ce côté là ! vois comme c’est beau, vois comme c’est bon !” et j’avoue que dans des moments de découragement, je me fais parfois cette réflexion.
D’autres encore renient totalement de tels états. Ce déni n’empêche pas pour autant ce poisson de s’immiscer en eux et de les abîmer. Tout en s’auto-détruisant consciencieusement, mais sans comprendre le mécanisme sous-jacent, ces mêmes personnes taxeront volontiers de négatifs ceux qui expriment leur mécontentement.
Entre le déni et la réalité
Entre ceux qui vont prétendument toujours bien, voire très bien, et ceux qui ne sont jamais satisfaits, quelle est la voie ?
Le déni est pure illusion ; la méthode Coué a ses limites. L’autocomplaisance dans le malheur aussi. A quoi bon se mentir si ce n’est pour se procurer un confort factice et fragile ? Et quel intérêt a-t-on à broyer du noir ? Attirer l’attention sur soi en se faisant plaindre ?
La voie du milieu est sans doute une fois de plus la meilleure. Cette voie n’est pas un mélange bâtard, une vaine compromission, mais au contraire l’acceptation de ce qui est, doublée d’un vrai désir de profondeur, de beauté… Un désir de sublimation de toutes nos expériences, si riches d’enseignements, même les plus désagréables… C’est cela l’amour, de soi, des autres, et au fond, de la vie…
Car être en vie est sublime