Arrivée à Bénarès
Le moment est enfin venu pour moi de découvrir la fascinante Bénarès, ville à la réputation intrigante s’il en fut, mais qui de plus, est à la source du Natha Yoga que nous pratiquons !
Après un trajet en voiture, un train, trois avions et maintenant un taxi pour une course d’une heure, me voilà enfin dans la première ville sacrée de l’Inde. Bénarès, Banaras, Vanarasi, Wanarasi, Kashi, autant de noms pour désigner cette ville authentique, qui ne ressemble à aucune autre ! Le mythe la veut assise sur le trident de Shiva, maître de la cité.
Le taxi donne le ton, avec ses colliers de fleurs fraîches, offrande que j’imagine volontiers quotidienne, dédiée à ses déités préférées, dont Hanuman, très apprécié à Bénarès.
Sans doute faut-il avoir une confiance absolue en ces dieux pour conduire comme on le fait en Inde, du moins en Inde du Nord ! La circulation évoque deux vagues déferlantes s’entrecroisant avec force coups de klaxon et contournements improbables des véhicules “adverses”, si bien qu’à force de circonvolutions, deux véhicules qui se croisent peuvent se retrouver à droite de la chaussée ! (Rappel : étant donné la forte empreinte britannique, on roule ici à gauche). À moins de connaitre l’Inde, il n’est pas facile d’imaginer ce flot de voitures, motos, rickshaws, vélos, vélos taxis, vaches, chiens et piétons, cohabitant dans un harmonieux chaos (!)
Les choses se corsent encore lorsque le taxi me confie à mon “correspondant”, Gagan, qui lui, me transporte sur son scooter ! Au tohu-bohu ambiant se rajoute les gaz d’échappement et la proximité des autres véhicules, qu’on frôle dangereusement. Je serre les lèvres et ferme parfois les yeux, pour m’éviter de trop grosses frayeurs.
En France, les jurons enfiévrés se seraient élevés pour bien moins que cela, mais ici les visages impassibles reflètent un calme d’une profondeur inouïe. On tient compte de celui qui a klaxonné pour signaler sa présence ou son désir de passer et on le laisse passer, tout simplement. Parfois, dans cette marée hétéroclite, les conducteurs sont même obligés de s’arrêter pour trouver un compromis !
Le contraste entre ce tumulte et le calme intérieur des gens résume à lui seul l’ambiance de Bénarès.
À la découverte de Kashi
Souvenez-vous, Kashi, c’est un des noms de Bénarès, peut-être le plus ancien.
Des dieux à foison !
Dès mon arrivée à l’hôtel, choisi au bord du Gange, je suis frappée par l’omniprésence de la spiritualité : sur un mur qui couvre les quatre étages de l’édifice, une immense fresque montre Ganesh, Bouddha et Shiva, chacun avec ses attributs (voir la deuxième photo), tout cela sur fond de Mantra…
On notera ici la mixité : les Indiens ont tendance à intégrer les différences, si bien qu’hindouisme, bouddhisme, jaïnisme et tantrisme vivent en bonne intelligence ; ces grands courants se mêlent, se font des emprunts et se confondent un peu parfois.
Il y a dieu et dieu
Rappelons-nous que même si les dieux sont utilisés dans le tantrisme, ce n’est pas dans un esprit dévot. Dans notre Yoga tantrique, ils sont considérés comme autant d’énergies intérieures, de qualités, ainsi personnifiées… Il est plus facile de travailler sur une caractéristique de la personnalité lorsque celle-ci est incarnée en un dieu haut en couleurs, plutôt que sur une abstraction. La PNL l’a d’ailleurs bien compris. Le Yoga est spirituel, mais pas religieux. Toute autre vision est une déformation ou un faux-sens.
À l’inverse, dans l’hindouisme, comme dans la plupart des autres religions, les dieux sont des entités extérieures, qu’il convient d’honorer comme il se doit.
Le Gange
Après quelques rafraichissements bienvenus, je file voir le Gange, au pied de l’hôtel. Outre l’activité humaine, là aussi très présente, je constate qu’il est très terreux. Gagan m’expliquera que c’est dû à la saison. La mousson provoque des crues et de grands mouvements fluviaux. Au passage, rappelons que deux fleuves viennent se jeter dans le Gange à Varanasi (on retrouve ici le symbole du trident) : le Varuna (c’est également le nom du dieu de l’eau) et l’Assi. Mélangez les deux et vous trouverez Varanasi. Il est d’ailleurs à noter qu’ils coulent a contrario, ce qui exige une dextérité et un savoir-faire certains de la part des bateliers, tous amoureux de leur fleuve sacré (voir photos ci-dessous)
Assi Ghat et son arbre
Gagan, le Ganga et Kashi
Gagan sera mon guide et ami durant ce séjour à Bénarès. Il a les meilleures recommandations, en tant que guide, mais surtout en tant que personne. (photos 1 et 5).
Je me débrouille généralement toute seule, mais dans ce cas, j’ai eu envie de découvrir cette ville complexe en compagnie d’un véritable habitant du lieu. S’autodéfinissant comme un “enfant du Gange”, Gagan connait la ville comme sa poche et je le vois saluer la moitié des gens qui se trouvent sur notre passage !
Ganga & Shiva Aarti
Dès le premier jour, je n’ai de cesse d’aller voir Assi Ghat et son arbre, qui représentent pour moi un lien fort avec la lignée des Natha Yogi de Bénarès (photo 4 ci-dessous). Je retournerai de jour sur ce lieu mythique, mais le premier contact se fera de nuit, pour une grande célébration, appelée Aarti. C’est ici et Shiva, maître de la cité et le Gange lui-même qui sont célébrés. Gagan me dit que ces cérémonies ont lieu tout au long de l’année !
Les gradins du Ghat sont déjà presque pleins, mais Gagan m’emmène d’un pas assuré vers les bateaux amarrés là, tous déjà partiellement remplis de spectateurs, vêtus de leurs plus beaux atours (photo 2). Nous prenons place sur l’un deux, où une mère et sa fille m’invitent sur le champ à une séance photo impromptue. C’est un leitmotiv en Inde. Ils pensent qu’il est bon d’être photographié avec des occidentaux. De même, une photo avec eux sera auspicieuse pour nous. Je me prête volontiers au jeu !
Vient le moment d’allumer une flamme dans un petit ramequin en papier alu, garni de fleurs (photo 3). Nouvel hommage au fleuve, que l’on peut assortir d’un souhait (Samkalpa). L’offrande est ensuite déposée sur le Gange, parmi des dizaines d’autres, qui dérivent joliment vers leur destin…
La nuit est arrivée et l’Aarti peut commencer. Ce sont en fait de jeunes prêtres (Brahman) qui mènent la danse, devant une foule de spectateurs conquis d’avance : tambour, voix puissantes, chandeliers remplis de bougies que les acteurs de ce spectacle grandiose font danser dans tous les sens en une parfaite synchronisation
Dans les rues de Bénarès
J’ai adoré me promener dans les rues de cette ville étonnante. Surtout à pied, je dois dire, car Gagan a souvent été amené à me les faire traverser sur son scooter. Imaginez-nous foncer dans des rues si étroites que certaines d’entre elles peuvent rivaliser avec notre rue aixoise esquicho-coudes ! Les autres sont à peine plus larges, ce qui n’empêche personne d’y circuler : charrettes, vaches, motos, chiens et piétons y cohabitent gaiment, cédant tranquillement le passage au signal du klaxon ! Nous n’étions pas les seuls à circuler ainsi motorisés, beaucoup s’en faut ; pourtant, je n’ai pu me départir d’un sentiment de gêne à “bousculer” ainsi ces paisibles piétons, humains et animaux. C’était néanmoins une expérience épique !
La première promenade à pied dans ce dédale de ruelles sans secret pour Gagan, révèle une ambiance bien particulière, avec ses mini-boutiques sur le seuil des habitations, parfois pas plus grandes que la place nécessaire pour se coucher, à même le sol ou presque, cela va de soi ! Une foule nombreuse y circule, faite d’humains en pleine activité, souvent chargés, de chèvres, vaches, chiens et jeunes enfants. L’hygiène n’est pas forcément au rendez-vous, mais encore une fois, tous acceptent leur sort avec sagesse. Je ne retrouve pas les fronts froncés et les mines contrariées si communes dans nos contrées de riches.
Les dieux sont toujours très présents comme en attestent les fresques murales qui apparaissent au détour d’une ruelle, parfois assez humoristiques, comme celle de Shiva jouant avec un Lingam à pattes (première photo ci-dessus).
Le temple de Shiva
Gagan ne manque pas de me faire découvrir le temple de Shiva de la vieille ville, sombre et très ancien, semble-t-il. Une énergie incroyable habite ce sanctuaire, chargé de la ferveur de milliers et de milliers de fidèles. Un bel endroit pour méditer (troisième photo, au centre, ci-dessus).
Il y a bien d’autres temples de Shiva, dont un grand, très célèbre, souvent détruit et aussi souvent reconstruit, avec notamment un édifice en or massif. Sa visite prend des airs beaucoup plus officiels avec une entrée payante.
Les deux temples sont d’ores et déjà au programme du voyage et stage de Yoga que Spicy Note proposera bientôt.
Alors que nous filons dans les embouteillages, Gagan me signale quantité de temples : Hanuman, Kali, Durga, Ganesh et bien d’autres encore. Nous faisons parfois halte dans l’un d’eux.
J’assiste même à une Puja dans un minuscule temple souterrain (photos 2 et 4 ci-dessous)
Les crémations
Bénarès : l’endroit où mourir
Lors d’une flânerie solitaire, je visite le centre de crémation près de l’hôtel. Il y en a deux à Bénarès. Mon cher guide m’a déjà emmenée au premier, le plus grand. Tous deux se situent au bord du Gange.
N’oublions pas que Bénarès a le pouvoir de nous faire sortir du Samsara (cycle des réincarnations) pour peu qu’on vienne y mourir. C’est en tout cas la croyance en Inde. Voilà pourquoi tant de gens viennent y rendre leur dernier souffle. Parti en fumée, le Karma !
Très vite, un vieux monsieur m’invite à m’asseoir à côté de lui sur un tas de paille et m’explique que le site principal est réservé aux hindous, alors que celui-ci est ouvert à tous.
Il me dit aussi que lui-même et toute sa famille travaillent sur le site depuis la nuit des temps. Même si le système des castes est officiellement aboli depuis des années, la société reste structurée selon la tradition, si bien que le travail de crémation incombe tout naturellement aux familles d’intouchables. J’ai pu constater qu’on y œuvrait avec amour.
Il y a tout un code vestimentaire chez les morts : un bel habit rouge pour les femmes, blanc pour les enfants et les veuves, orange pour les hommes et doré pour les hommes âgés. Par ailleurs, les enfants sont rasés le jour de la crémation en signe de deuil et pour délimiter ce dernier.
Ne soyons pas tristes. Seule notre carcasse s’en va. L’âme demeure !
À propos de carcasse, je m’approche des bûchers. Il y en a plusieurs qui brûlent en permanence. J’en vois un assez volumineux et m’imagine qu’il attend son mort. Un homme entretient ce feu, en remuant consciencieusement les branchages. Quelle n’a pas été ma surprise lorsque, au détour d’un mouvement de pelle, j’ai vu apparaitre un pied ! Oui, un pied humain qui, solitaire, sortait du bûcher !
Par contre, je redoutais un peu que ne s’avère la rumeur selon laquelle de nombreux cadavres à moitié calcinés flottent sur le Gange. Je n’ai rien vu de tel !
Cobras, marché aux fleurs et boutique de soie
Abondance de cobras
Le même jour, en descendant une rue marchande, ce que l’on pourrait appeler une grande rue pour le vieux Bénarès, j’aperçois un cobra dressé dans un panier. Il est très immobile et je me demande s’il n’est pas en caoutchouc. Son propriétaire le regarde avec amour. En remontant la rue quelques minutes plus tard, je vois ce même cobra légèrement onduler. Je m’éloigne prudemment et, médusée, j’observe la scène… Car bientôt, à ma grande surprise, un vieux monsieur s’arrête et après un court entretien avec le charmeur de serpents (sans flûte toutefois), ce dernier saisit le reptile et caresse le crâne du vieux monsieur avec le dos de la tête du cobra. Le vieux monsieur exprime un Namaste plein de gratitude et s’éloigne, satisfait de sa bénédiction serpentine !
Mais je ne suis pas au bout de mes surprises : toujours en cheminant, plus haut, où la rue se rétrécit, je me rends soudain compte que je viens de passer à moins d’un mètre d’un deuxième cobra, que son charmeur fixe affectueusement.
A quelques pas de là, un enfant d’une dizaine d’années fait glisser d’une main à l’autre un bébé cobra, le sourire aux lèvres, visiblement ravi de cet échange avec la bestiole. Il me sourit et m’invite par un signe de tête à me joindre à ses jeux. Je décline !
Un marché aux fleurs coloré
Et pour finir sur une note plus gaie, en tout cas selon notre culture occidentale, je vous parlerai du joli marché aux fleurs, si coloré, si frais, si gai, où j’ai été invitée à m’asseoir parmi les marchandes. Par ailleurs, un monsieur a délicatement déposé une jolie rose au creux de ma main ; juste la fleur, ouverte et très odorante.
Des soies comme dans les mille et une nuits
Il y a aussi la boutique de Bunti, un ami de Gagan : un petit air des mille et une nuits dans ce magasin empli jusqu’au plafond de soies de toutes sortes : soie sauvage, baby silk, et j’en passe, sans oublier les fabuleuses collections de Pashminas et de Saris. On s’assoit sur un confortable matelas et le vendeur déplie pour nous tous les tissus susceptibles de nous intéresser. Bunti vous offre parfois un chaï savoureux ou un Lassi tout aussi exquis, l’un comme l’autre servis dans de la vaisselle en gré… Bref, vous n’avez plus envie de partir !
De plus, Bunti travaille avec un tailleur, tout proche, qui exécute en un temps record vos désirs vestimentaires les plus fous. J’ai eu grand plaisir à le solliciter et un plaisir égal à découvrir mes nouveaux atours, taillés exactement selon mes souhaits !
La boutique de gagan
Tout proche de ce délicieux lieu de perdition se trouve la minuscule boutique de Gagan, qui propose des Lingams pour la pratique yoguique tantrique, des Mâla, pour accompagner la diction des Mantra, ainsi que des huiles essentielles et de l’encens. On est là aussi confortablement installé sur un matelas, où j’ai pu déguster une succulente soupe à la coriandre… La vie peut être très douce.
A bientôt
Il est bien sûr impossible de tout narrer ici, aussi m’en tiendrai-je là.
Trépidante, surprenante, fascinante, Bénarès est loin de m’avoir livré tous ses secrets. Pourtant, les expériences vécues là-bas habitent désormais chacune de mes cellules.
Kashi ne se laisse pas oublier. Elle vous invite à revenir… La force d’attraction est telle que certains de ses habitants, comme Bunti, ne pourraient vivre ailleurs…
Agrément et préparation d’un stage de Yoga à Bénarés et dans le Kerala
Ce sont les deux raisons de mon voyage en Inde cet été. Je m’attendais d’ailleurs à un climat plus rude en cette saison. Il aura fait vraiment chaud à Bénarès, mais j’ai pu le supporter. Désormais, je goûte l’air frais de la montagne du Tamil Nadu d’où je vous écris… Il y fait très bon ! Pour tout dire, je suis venue y faire un Pancha Karma, comprendre cure ayurvédique, sur lequel je ferai peut-être aussi un petit article.